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6
L’homme aux masques
Nouvelle de Georges Alexandrinos extrait de son livre
Un étudiant grec s’est suicidé à Paris
traduit du grec 
— Hypocrite lecteur, — mon semblable, —  mon frère !
( Au lecteur, Charles Baudelaire* )

Lui c’est moi. Le porteur de masques. Je regarde devant moi. Droit devant moi et j’ai un air inexistant. Je n’ai pas d’air. Je n’existe pas. Le regard abruti. Hébété. Si quelqu’une me voit, elle réprime son rire. « Ah ! quel imbécile, mon Dieu ! Quel abruti ! Regarde-le un peu, regarde-le ", dit-elle à son amie. Et avant qu’elle n’ait le temps de regarder, je me suis tourné à gauche. Mes yeux se plissent. Mon regard massacre. Tue. Je deviens charmant. Je souris. Je me retourne aussitôt à droite et je m’afflige. Je m’afflige tant, que ceux qui me voient ont de la peine. S’ils continuent à me regarder sous peu ils auront un air semblable au mien. Il leur est enlevé toute disposition à se divertir. Ils sombrent dans la mélancolie.

*

Je change de visages comme Protée. Je change de personnages sans changer de visage. Je porte mes masques. J’ai des milliers de masques. Je les aligne sur ma table, les soirs. Ils n’entrent pas. Sur le lit. Sur le sol. J’ai commencé à les accrocher au mur. Des milliers. Ils augmentent au fil des ans. Sur les murs de ma salle de bains aussi je les accroche. On ne les voit pas. Moi seul les vois quand ils ne sont pas sur mon visage. Quand je les porte, les autres les voient. C’est pour cela d’ailleurs que je les porte.
" Mais, qu’as-tu ? Qu’as-tu ? Qu’a-t-il ? " " Moi qui viens de le voir, il était en pleine forme ".
Pour chaque personne j’ai aussi un masque. Ou plutôt chacun a un regard différent, le sien, pour moi.


*

Ce n’est pas facile. C’est douloureux. J’ai tellement entraîné mes muscles. Ils obéissent au moindre commandement de mon cerveau. Je peux tenir mes lèvres dans la position du sourire des heures entières. Avoir un regard doux. Je deviens un petit enfant débonnaire, quand je le veux. La bonté même. Hyper-sympathique. Mielleux. Placide.
Hyper-antipathique. Importun. Egoïste. Fier. Prétentieux.


*

Beaucoup croient que ce sont mes études de théâtre qui m’aident en cela. Non pas du tout. Mon observation. Quand j’ai commencé à observer les gens. Comme une maladie contagieuse. Ils souriaient devant lui. Ils plaisantaient avec lui. Ils se juraient amitié, fidélité, dévouement et dès qu’il tournait les talons, aussitôt, tout de suite, leur visage changeait d’expression. Et comme si ce n’était pas assez, pour que je comprenne qu’ils lui avaient joué la comédie, ils commentaient avec des paroles. Des choses abominables, odieuses et épouvantables, vulgaires. Et ils me souriaient. Ceux qui juraient. Fidélité et dévouement et amitié sincère. A lui et à moi et aux autres. Ceux-là mêmes qui affirment qu’ils sont droits et que leurs critiques ils les disent en face. Et ainsi je l’ai attrapée moi aussi cette maladie. Et je porte des masques. Des masques nombreux et différents.
Mais mon étonnement était tel et mon ébranlement si grand — puisque je ne voulais pas le reconnaître que porteurs de masques ils le sont tous — que je me suis juré dans mon obstination à devenir le meilleur de les surpasser tous.
Je suis devenu orfèvre en la matière. Je ne fais rien d’autre. Rien. Rien d’autre ne m’intéresse hormis les masques. Mes masques.
Puis c’était aussi le besoin. Comment demander un travail sans le masque correspondant. Tu n’es pas convaincant. Le demandeur est comme la femme de César, il ne doit pas seulement être, mais aussi paraître. Malheureux et misérable je deviens aussitôt, sur-le-champ. Heureux et autosuffisant.
Oui, je n’ai pas besoin de vous. Moi besoin de vous, jamais ! Qui l’a dit ?


*

Ah ! combien difficile c’était au début. Douloureux. Oui, bien sûr, je me rappelle. " Plutôt mourir ", avais-je dit. " Moi une telle prostitution ! Jamais ! La comédie seulement sur scène, jamais dans la vie ! " " A ces choses tu ne dois même pas y penser ", m’ont-ils répondu. " Et même si tu y penses… ne pense pas que tu y penses et surtout ne les dis pas ! Tu ne sais pas ce qu’est la vie ? "
J’ai commencé par l’observation. Je les regardais dans la rue. Ils marchaient. Dès qu’ils rencontraient quelqu’un, c’étaient sourires, plaisirs, baisers et cetera. Et à l’instant même où ils faisaient le premier pas, avant même qu’il ne fasse le premier pas, le masque changeait. L’air changeait. Le visage se transformait. Les lignes et les rides changeaient. Cette ligne de démarcation. Scène et coulisses. Ils me voient ils ne me voient pas. Qu’est-ce la comédie ? On me voit. Je joue.  On ne me voit pas. Je suis. Je suis quand ils me voient et je suis quand ils ne me voient pas. Je ne suis pas le même, quand on ne me voit pas et quand on me voit.


*

Le masque parle davantage que les paroles. Le masque convainc davantage. Aussi optimistes que soient les paroles, quand le masque est funeste les spectateurs ne sont pas convaincus.


*

La grande décision. Le premier pas. Naturellement il faut d’abord la théorie. Qu’elle soit stable, solidement bâtie, avec des bases, avec des arguments. Il faut que tous les pourquoi soient résolus. Et que les cibles soient concrètes, pas floues. Il faut d’abord en être convaincu soi-même. Se convaincre soi-même. Sans masques cette vie est insupportable. Les gestes, les mouvements, les paroles, les costumes viennent après. Plus tard. Tout devra s’harmoniser avec le masque. Le masque c’est le départ. Le masque détermine le reste. Le masque, le but et la cible. Le masque la stratégie. La tactique. Les autres choses s’adaptent par la suite. Et qu’est-ce qui est fondamental dans le masque ? Le regard. Le regard trahit. Attention au regard. Les paroles aussi peuvent nous trahir. Mais pour que les paroles nous trahissent nous devons parler. Alors que le regard est. Il existe, à peine le masque paraît. Mais cela aussi s’entraîne. Avec de la volonté et de la persévérance. Le miroir aussi aide. Mais pas longtemps. Seulement au début. Et pas de sentiment, pour l’amour de Dieu. Il ne faut pas non plus oublier Diderot. De la logique. De la logique froide. Les illusions pour les autres, pour ceux qui nous regardent et nous écoutent. Nous, nous nous cachons derrière le masque. Les choses devront se faire d’une manière automatique, machinalement, froidement et avec sang-froid. Non, ni émotions ni écarts.

*

J’en ai marre de toute cette comédie ! Toute cette comédie de la vie je ne la supporte pas davantage ! Je ne la supporte plus ! Quelle force elle exige ! Quel courage il faut ! Je fais tout tout seul. Dramaturge, metteur en scène, comédien, mécène, producteur, costumier, scénographe, accessoiriste.
Je n’en peux plus. Je ne tiendrais pas jusqu’au bout. Scène éternelle je ne peux te souffrir. Et les spectateurs qui ne comprennent pas quand applaudir. Où rire. Où être tristes et où pleurer. Rarement ils comprennent la pièce. Ne lisent-ils pas le programme ? Bien des fois ils ne savent pas même le titre de la pièce qu’ils voient. Sont-ils entrés par hasard dans ce théâtre ?


*

Je n’en peux plus ! Rideau ! Qu’on leur rembourse leur billet. Ce public n’en est pas un ce soir !


*

Avant de dormir en ôtant les masques, en les posant avec dévotion, qu’ils se reposent eux aussi, je pense à vous. Je sais que je ne suis pas le seul. Que je ne suis pas le premier. Je sais que je ne suis pas l’inventeur. Je sais que vous aussi vous faites de même. Je sais que vous le faites souvent. Mieux que moi.
Mais moi je suis celui qui le premier, le seul l’admets.
Que oui ! j’ai joué, je joue, je jouerais et je jouerai la comédie. Alors que vous ? Que dites-vous ?
" Moi jouer la comédie ? Jamais ! " Et aussitôt vous ajoutez " La comédie moi ? Jamais!»
Et alors que j’ôte mes masques, le soir et que je pense à vous, mon sourire s’afflige.
Je suis fatigué, le savez-vous ? Je suis fatigué. Elle m’a fatigué cette comédie. Et vous m’avez fatigué vous aussi. Vous et votre refus. Votre refus d’admettre que vous feignez…


*

Mais ce qui me fatigue bien davantage est que, the show must go on… everywhere… for everybody… *

© Georges Alexandrinos



1. Ma cousine qui a failli devenir hôtesse de l’air

2. Un moins que rien

3. L’amitié

4. Cherchez la femme

5. The tiger


6. L’homme aux masques

7. Des curriculum vitæ

8. La feuille




















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