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4
Cherchez la femme*
Nouvelle de Georges Alexandrinos extrait de son livre
Un étudiant grec s’est suicidé à Paris
traduit du grec
 
C’était le temps où je parasitais dans les bras de la femme, qui comme elle-même prétendait, « m’avait porté à Paris «, comme si j’étais un bagage. C’est un fait qu’elle avait veillé à mon arrivée dans la capitale française. Mais son propre désir que moi je m’installe dans cette ville était plus grand que le mien. C’est elle qui avait décidé que notre amour s’épanouirait à Paris mieux que n’importe où ailleurs. Dans sa tentative de me convaincre de prendre ma décision du départ, elle me disait que c’était une ville onirique, une ville qui m’allait et que j’étais né pour vivre dans cette ville. De plus elle me faisait du chantage en me disant que mon installation là-bas serait la preuve de mon amour pour elle. Que nous vivrions toute notre vie ensemble, dans cette ville. Sans aucun rapport si plus tard elle a quitté et moi et Paris.
Le petit pécule que j’avais apporté a vite été épuisé. Nous vivions avec son argent à elle, que son papa chéri lui envoyait. Mais il n’était cependant pas suffisant.
Quoi qu’il en soit, ma dépendance à son égard a commencé. Désespéré je cherchais du travail et comme je ne connaissais pas le français — parce qu’à l’époque je l’apprenais — c’était très difficile.
Terrible chose que la dépendance. Particulièrement à l’égard d’une femme qui vous aime. Particulièrement à l’étranger. Particulièrement à Paris. La dépendance matérielle. Mais plus dure est encore la dépendance intellectuelle. Ceci, tout un pays, mon pays la Grèce, ne l’a pas encore compris.
Pout tout renseignement ou tout contact qui m’était nécessaire, elle qui parlait la langue devenait l’inévitable filtre. Et comme je ne connaissais pas la ville, ses rythmes, ses règles et ses habitudes, elle insistait pour m’accompagner sans cesse pour que je ne me perde pas dans d’autres bras. Elle insistait, qui plus est, régulièrement qu’elle devait m’accompagner de peur que d’aventure je ne comprenne quelque chose de travers… Même au café, quand nous étions ensemble, elle prenait soin de commander et même longtemps après que moi j’eus appris les quelques mots indispensables pour demander un café. Et comme à la fin elle payait, parce que l’argent était à elle, à son père plutôt, mon humiliation était à son comble. Personne d’autre bien sûr n’y prêtait attention, ni le garçon, ni les habitués, seulement nous. Chaque sortie au café était un rappel, de sa part, de mon besoin, de ma dépendance, matérielle et intellectuelle à son égard.
C’est dans un café que s’est accomplie ma vengeance, tout à fait par hasard, malgré moi.
Nous deux étions restés les derniers clients. Au café il y avait la dame du bar et son grand berger allemand. La dame du bar s’est mise à jeter par terre de la sciure humide, ce qui signifiait que nous devions nous en aller. Dans peu elle allait balayer, et la sciure elle l’avait jetée pour ne pas soulever la poussière. Mon amie a payé et est allée aux toilettes avant que nous partions. Alors je me suis baissé pour prendre mon écharpe qui avait glissé sur le sol de la chaise où je l’avais posée.
Le grand berger allemand a foncé sur moi menaçant. La dame du café a couru près de moi, pour que le chien se rende compte que rien de mal ne survenait, puisqu’elle-même voyait que je prenais mon écharpe, et elle m’a demandé :
— Vous cherchez quelque chose, Monsieur ?*
Tous ces mots je les connaissais, je les avais appris récemment. Un de ceux-ci a éveillé en moi une multitude de souvenirs lesquels m’ont cloué sur place, là, debout, en face de la dame du café et de son chien qui allait et venait entre nous. Le verbe chercher* — et il est curieux que quand je l’avais appris la première fois il n’avait pas suscité en moi ces souvenirs. Je suis resté là, en tenant l’écharpe dans mes mains, je ne sais combien de temps, il devait toutefois être assez long, en face de la femme du café en la regardant, avec sa chemise blanche, sa jupe noire, ses collants noirs, son tablier blanc qui se terminait en dentelle, ses cheveux noirs, ses yeux noirs, ses lèvres peintes en rouge et le chien qui allait et venait. Je voyais cependant dans ma tête, à une vitesse supérieure à la vitesse cinématographique ce café de la place avec le premier juke-box que j’ai vu et entendu de ma vie. J’y avais entendu pour la première fois la chanson de Tsitsanis Cherchez la femme*. Le café avait aussi un baby-foot et une table de billard. L’été il y avait aussi de la glace italienne. Ils installaient l’appareil près de la porte et ainsi on pouvait acheter de la  glace sans entrer à l’intérieur. Ceci avait cependant pour résultat de pousser plus au fond le juke-box. Nous, mineurs, nous n’étions pas autorisés à entrer dans le café. Le patron nous laissait toutefois entrer pour choisir une chanson. J’entrais dare-dare, je laissais la pièce glisser dans la fente, j’appuyais sur les deux boutons et je contemplais le tour que faisaient les disques et le mouvement du bras qui capturait le disque. Avant même que l’aiguille n’ait eu le temps d’entrer en contact avec le disque le cafetier venait, me tapait sur l’épaule et me disait : « Dehors maintenant « et il me montrait la pancarte : « Le séjour est interdit en-dessous de 18 ans. La préfecture de police «. Les plus âgés, commentant cette phrase, disaient qu’il fallait que quelqu’un reste plus de dix-huit ans dans ce café. D’autres, qu’il fallait ajouter « à tous ceux qui n’ont pas dix-huit ans révolus «. Tous étaient d’accord qu’il y avait une faute de syntaxe. Comme elles sont stupides ces pancartes. Presque toujours elles sont écrites avec des fautes, mais tous nous comprenons leur sens.
Aussitôt après je me suis souvenu de ma tante, la sœur de mon père, qui quand elle entendait discuter d’appareils comme le juke-box disait : « Quelles choses sataniques que celles-ci ! Qu’est-ce qu’il a fabriqué l’Occident ! « et moi je demandais : « C’est quoi l’Occident ? «
Puis mon esprit s’est envolé vers ce ravissement qui me transportait, enfant encore, quand j’écoutais les chansons de Tsitsanis. Et aussitôt je me suis rappelé mon frère aîné à qui j’avais demandé : « Que signifie Cherchez la femme ?* et lui avait répondu : « Tout pour la femme «. Peu de temps auparavant quand j’ai appris la signification de ce verbe je n’avais pas formulé de telles pensées. Seulement maintenant dans ce café je constatais que je croyais tout ce qu’on me disait, si facilement. Quoi d’autre avais-je encore pris pour juste, pour vérité ? A quel point avais-je vécu dans l’erreur ? A quel point étais-je à côté de la plaque ? Combien de fois avais-je chantonné cette chanson en croyant qu’elle signifiait quelque chose d’autre ?
Ayant tout ça dans la tête, je répondais à la dame du café étonnée :
— Cherchez la femme !*
Mon amie sortait à ce moment-là des toilettes. Entendant ce que j’avais dit et croyant que j’avais un problème de communication avec la dame du café et dans l’intention de soi-disant m’aider elle a demandé en grec :
— C’est moi que tu cherches, mon amour ?
C’est alors que je me suis libéré de mes souvenirs et j’ai dit :
— Cherchez la femme en général !*
Ce en général* je ne le connaissais pas, je ne l’avais pas appris, sans doute l’avais-je entendu, mais il n’était pas passé en moi. Je l’ai prononcé ainsi, comme par l’opération du Saint-Esprit.
Elle s’est évanouie. Elle pensait qu’elle représentait la Femme pour moi. Plus tard elle a été nommée dans l’enseignement public, mais elle croyait en moi.

* Les mots et les phases en italique suivis d’un * sont, dans le texte original, soit en français, en latin, en anglais ou en allemand.

© Georges Alexandrinos


1. Ma cousine qui a failli devenir hôtesse de l’air

2. Un moins que rien

3. L’amitié


4. Cherchez la femme

5. The tiger

6. L’homme aux masques

7. Des curriculum vitæ

8. La feuille













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